Le portrait d'une région en mutation
Sommaire
Introduction
Au cœur du Maroc moderne, la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceïma incarne parfaitement les contradictions d’un pays en pleine mutation. Véritable locomotive économique du Royaume, elle se dresse comme le deuxième pôle industriel et le troisième pôle économique du Royaume, attirant les investissements et les regards.
Pourtant, derrière cette façade prospère se cachent des réalités bien plus complexes, où la richesse côtoie la pauvreté, où l’urbanisation galopante laisse derrière elle des territoires oubliés.
Un moteur économique aux performances contrastées
La région fait figure de modèle en matière de développement économique. Le montant des investissements approuvés en commissions d’investissements s’élevait à 36,6 milliards de dirhams en 2021, atteignant 52 milliards de dirhams en 2022, 73,4 milliards de dirhams en 2023, et 40,8 milliards de dirhams à fin juin 2024. Ces chiffres témoignent d’une attractivité indéniable, portée par le complexe portuaire de Tanger Med et l’essor de l’industrie automobile.
Cependant, cette prospérité cache une réalité territoriale profondément inégalitaire.
Les provinces d’Al Hoceïma, Larache, Chefchaouen et Ouezzane semblent figées dans le temps, leurs habitants assistant, parfois amers, à l’enrichissement d’une région qui leur semble étrangère.
Cette concentration géographique du développement n’est pas qu’une question de statistiques : elle façonne le quotidien de millions de Marocains.
Dans les montagnes du Rif ou les campagnes de Larache, les jeunes voient leurs perspectives d’avenir se réduire comme peau de chagrin, alimentant un exode rural qui vide les territoires de leurs forces vives.
Les défis d'un territoire en mutation
La question de l'eau : une urgence climatique
La région fait face à des défis environnementaux cruciaux, notamment la gestion de l’eau dans un contexte de changement climatique. Les précipitations se font de plus en plus rares, obligeant les autorités à repenser complètement leur approche de l’agriculture et de l’aménagement du territoire.
Des initiatives comme le Projet Nexus tentent de réconcilier développement économique et durabilité environnementale, mais les besoins dépassent largement les moyens disponibles.
L'emploi : un défi persistant malgré la croissance
Paradoxalement, malgré une croissance démographique annuelle moyenne de 1,26 %, supérieure à la moyenne nationale, la région peine à créer suffisamment d’emplois pour ses habitants. Le chômage frappe particulièrement les jeunes diplômés, victimes d’une inadéquation criante entre les formations proposées et les besoins réels du marché du travail.
Les petites et moyennes entreprises, piliers de l’économie locale, peinent à se développer, confrontées à des difficultés d’accès au financement et à une bureaucratie parfois pesante. L’économie informelle, particulièrement visible dans des zones comme M’diq-Fnideq, représente à la fois une soupape de sécurité sociale et un défi pour les autorités qui peinent à l’encadrer.
Les fractures sociales : quand la modernité creuse les inégalités
L'accès aux services : une géographie de l'exclusion
Bien qu’elle soit l’une des régions les plus dynamiques sur le plan économique et démographique au Maroc, elle fait face à des défis majeurs en matière de répartition équitable des infrastructures sanitaires et des services de santé. Cette situation illustre parfaitement les contradictions de la région : comment expliquer qu’à quelques kilomètres du port le plus moderne d’Afrique, des populations entières n’aient toujours pas accès à des soins de qualité ?
Les femmes rurales, les personnes handicapées et les migrants constituent les premières victimes de ces inégalités. Pour eux, la modernité de Tanger reste un mirage lointain, alors qu’ils luttent quotidiennement pour accéder aux services les plus élémentaires.
Le coût social de la croissance
La prospérité apparente cache des réalités sociales préoccupantes. À Al Hoceïma, par exemple, le coût de la vie atteint des niveaux particulièrement élevés, érodant le pouvoir d’achat des ménages et alimentant un sentiment d’injustice. Comment accepter que dans une région qui génère tant de richesses, certains habitants peinent à joindre les deux bouts ?
L’enclavement de nombreuses zones rurales aggrave cette situation. Privées d’infrastructures routières décentes, ces localités voient leurs habitants contraints à l’exode, alimentant un cercle vicieux de dépopulation et de sous-développement.